Salut à tous! Je suis en train d'attaquer la rédaction d'un roman de Fantasy se passant dans l'Antiquité (vers -2000) où l'on assiste aux ultimes combats entre les Atlantes et leurs rivaux que sont les Humains. Je poste ici l'intro, j'essaierai d'alimenter avec un nouveau chapitre tous les mois. N'hésitez pas à commenter, votre point de vue m'intéresse!
Prologue : Mol'When n'est plus
La masure était en ruines, et les poutres crépitaient encore des restes de l'incendie. Des meubles renversés et brisés cernaient les corps de leurs propriétaires. Travis tapotait du pied le cadavre inondé d'humeurs verdâtres. Sa répugnance à l'égard de l'ennemi s'accompagnait d'une certaine curiosité morbide. Qui étaient-ils ? Pensaient-ils, souffraient-ils ?
Il sortit de la maison en rengainant son couteau, et se mit à descendre le sentier menant à la mer. Tout en arpentant le charnier qui avait servi de champ de bataille la veille, il donnait des consignes discrètes aux soldats qui s'adonnaient au pillage de la cité en ruines. Un hochement de tête par ici, un refus poli de participer par là. Tous les lieutenants n'auraient pas mis, comme lui, un point d'honneur à se tenir à l'écart des exactions, mais Travis posait en principe qu'un chef devait avoir un comportement digne.
A bientôt vingt deux ans, Travis était l'un des plus importants membres de la Grande Armée. Du moins, l'un des plus importants encore en vie. Peu après les premières conquêtes, il avait été repéré par Golan en personne et intégré dans ses troupes, où il avait peu à peu acquis le rôle de commandant en second. De taille moyenne, il était musclé sans être impressionnant, et son visage à la barbe hirsute et au regard fuyant ne contribuaient pas à le rendre abordable. Si l'on ajoute ses cheveux bruns prématurément grisonnants, et ses yeux marrons légèrement verts, Travis ne donnait pas vraiment une image de conquérant invincible. Mais ses partis pris, fuir le viol et le pillage, le rendaient populaire auprès des troupes, qui le considéraient comme vertueux et juste.
Mol'When, leur dernière conquête, était une cité maritime, comme presque toutes les cités Atlantes. Leur race semblait ne pas pouvoir vivre loin d'une grande étendue d'eau. Ehn'Gha, Les'T, Nox, toutes les cités qu'ils avaient conquises ces trois derniers mois étaient sur le littoral. Etait-ce une habitude issue d'un stade antérieur de leur évolution, ou un besoin physiologique ? Ou la nostalgie de la vie sous l'eau, tout simplement ? C'était en tout cas un désavantage certain pour eux, car ils ne disposaient d'aucune barrière naturelle pour les protéger. Au contraire, le bord de mer facilitait l'abordage des galères, qui charriaient chacune des dizaines de combattants en armes frais et dispos.
La guerre était déclarée depuis des lustres entre Humains et Atlantes, mais les deux civilisations savaient très peu l'une de l'autre. Les contacts pacifiques, s'ils avaient existé, étaient peu nombreux. Seules les ruines, tombeaux de leurs peuples, parlaient un peu pour eux. Les constructions étaient pour la plupart arrondies, l'architecture Atlante détestait les angles et les arêtes. Les parois, faites d'un matériau qui n'était ni de l'os, ni de la pierre, étaient irrégulières et alvéolées, et pour la plupart blanchies à la chaux. Les seules couleurs autorisées semblaient être l'ocre et le rouge, qu'on retrouvait sur la plupart des bâtiments communs, ou sacrés.
De nombreux livres et inscriptions, jalonnant les ruines, auraient pu être des sources d'informations pour les vainqueurs, si ceux-là maîtrisaient la lecture. Or, non seulement les Humains étaient analphabètes, mais ils ignoraient jusqu'à la notion de culture. Leurs seules valeurs étaient le courage, la force et la domination, et leur passé commun se résumait à quelques légendes contées au coin du feu. Bien que leur mode de vie soit encore très sauvage, ils s'organisaient de plus en plus. Les hordes de tribus qui s'entre-déchiraient sur le territoire de ce qui deviendrait un jour la Grèce s'étaient rassemblées sous la houlette d'un chef charismatique qui avait vu ce que les Humains pourraient accomplir une fois unis. Clamant à toutes les foules le danger que représentait l'invasion Atlante pour les Humains, il avait réussi, petit à petit, à gagner à sa cause des tribus qui, rassemblées, formaient une armée. Non contente de clamer son territoire, les hordes dirigées par Golan ne cessaient de faire reculer la présence atlante. Cité après cité, les Humains gagnaient toujours plus de territoires, et les soldats étaient récompensés en or et en terres. Naturellement, ces richesses facilement gagnées agissaient comme un catalyseur, et de plus en plus d'hommes se bousculaient pour entrer dans la Grande Armée, persuadés de se battre peu pour gagner beaucoup. Golan et ses hommes déferlaient vers l'ouest comme une lame de fond, et nul ne pouvait dire s'ils s'arrêteraient un jour. Le royaume atlante semblait si vaste qu'il paraissait illimité, mais tout empire devait avoir un cœur, et manifestement, les quelques cités conquises jusqu'ici n'étaient guère plus que des postes avancés. Le centre de l'Atlantide était encore intact, tous en étaient sûrs.
-Travis! Pouvez-vous m'accompagner ? Nous avons trouvé quelque chose !
Le soldat qui avait interpellé Travis semblait jeune. Seize ans ? Dix-sept ? Golan évitait de recruter des enfants, trop faibles pour porter lance et bouclier. Mais quel que soit son âge, n'importe qui pouvait intégrer les troupes s'il disposait des aptitudes physiques requises. Celui-ci était brun aux yeux gris, la peau dévorée par les coups de soleil, et sa musculature n'était pas encore tout à fait développée. Il essayait de cacher sa jeunesse sous une barbe peu fournie, ce qui ne faisait qu'accentuer son côté juvénile. Travis tourna la tête vers lui, en se donnant un air autoritaire.
-Que se passe-t-il ?
-Nous étions en train de fouiller un temple, et nous avons trouvé... Des indigènes. Devons-nous les faire prisonniers ?
-Montrez-moi ça.
Le jeune soldat avança vers un petit temple, la démarche peu assurée. Les chemins étaient partiellement détruits ou enfoncés, et les gravats parsemaient le passage. Travis lui emboîtait le pas sans mot dire.
En entrant dans le temple, ses yeux mirent quelques secondes à s'habituer à l'obscurité. Quand les phosphènes disparurent, il contempla quatre hommes de la Grande Armée regroupés en arc de cercle autour de deux Atlantes, debout et immobiles, bien que tremblants comme des feuilles. Personne ne disait un mot. Travis se posta face aux Atlantes, impassible, et les toisa en silence pendant une bonne minute.
-Nous ne faisons pas de prisonniers, asséna-t-il après réflexion. Débarrassez-vous d'eux vite et sans fioritures.
Travis se retira, le visage morne, pendant que les soldats se rapprochaient des survivants les armes à la main. Les cris étranglés qui lui parvenaient tandis qu'il franchissait le parvis du temple ne lui arrachèrent pas la moindre émotion : comme ses comparses, il était endurci au meurtre et au massacre, et il avait foi dans la justesse de sa cause.
Le centre de la cité étant considéré comme pris, il élargit son périmètre aux bâtiments périphériques, aux demeures de luxe et aux oliveraies. Les Atlantes avaient un sens étonnant de la propriété : si leurs affaires légères leur appartenaient bel et bien, ils logeaient dans leurs demeures par rotation. Chacun occupait, à tour de rôle, les villas balnéaires, avant de céder sa place à un autre, et ainsi de suite. Les Humains étaient plus pragmatiques sur la question, et s'attribuaient définitivement un territoire, les plus forts étant les mieux servis.
Travis arriva dans une oliveraie à la forte odeur d'huile. Les arbres étaient en pleine production d'olives, et les pressoirs avoisinant semblaient avoir tourné sans interruption avant leur arrivée. Les soldats, peu intéressés, avaient épargné l'endroit.
Tant mieux. La production sera rentable presque immédiatement.
La visite des villas ne lui apprit pas grand-chose de plus. Certains chefs de groupe, ne souhaitant pas guerroyer plus avant, s'étaient accaparés les plus belles pour en faire leur foyer, mais ils le tolérèrent par égard pour son grade et son influence auprès de Golan. L'architecture des villas était réellement proche du chef-d'oeuvre, avec des arabesques et des courbes arrondies à la fois agréables à l'oeil et fonctionnelles. Et des piscines, bien sûr. Toute demeure atlante, même modeste, disposait d'un point d'eau, et ici les piscines étaient approximativement aussi étendues que le bâtiment. C'est un peuple qui passait le plus clair de son temps immergé, ne regagnant la terre ferme que pour travailler, manger ou chasser.
Travis s'estima satisfait, dans l'ensemble, de la tournure des événements. Sa tournée d'inspection terminée, il retourna vers le campement provisoire de la Grande Armée pour faire son rapport à Golan. Le nombre de soldats ne cessait de croître, de campagne en campagne, et les tentes occupaient presque tout le vallon désigné pour camper. Travis n'avait jamais vu autant d'hommes rassemblés au même endroit, une véritable ville sans bâtiments en dur, avec ses échoppes, bordels et latrines. Au vu des tentes éparpillées sur le terrain vague, il se dit qu'un peu d'organisation serait la bienvenue. L'extension inexorable de la Grande Armée posait d'importants problèmes de gestion : comment se retrouver et se coordonner si tout le monde s'installe dans l'anarchie ? L'imposition de laisser dégagées deux allées centrales formant une croix dans le campement avait un peu amélioré les choses, mais pour le reste, c'était un entassement de tentes en peaux et en tissu grossier qui se piétinaient les uns les autres. Travis se fraya un chemin jusqu'à la tente de Golan, marquée par trois bandeaux rouges. Les guerriers lui firent place avec les honneurs qui lui étaient dûs, le félicitant parfois pour sa bravoure ou son équité.
Golan était penché sur son écriteau, rédigeant une lettre quelconque. Il avait la silhouette qui sied à un chef de guerre : grand, large d'épaules, les muscles saillants sous sa tunique en cuir tanné. Ses yeux étaient incroyablement communicatifs, et lui donnaient l'air à l'écoute de ses interlocuteurs en toutes circonstances. De toute la Grande Armée, il était la seul, à la connaissance de Travis, à maîtriser l'écriture, ce qui lui garantissait le secret de sa correspondance. Les lettres lui permettaient de sceller des alliances d'une façon que Travis ne comprenait pas très bien, mais il en voyait les fruits lorsque de nouvelles troupes débarquaient sur le terrain.
Levant un regard affable sur Travis, Golan se désintéressa de sa lettre et invita d'un geste son lieutenant à s'asseoir près de lui. Sans un mot, il prit un pichet de vin et servit deux gobelets de terre cuite. Après avoir bu seulement, il l'invita à parler.
-La prise de Mol'When s'est bien déroulée, Chef. Les Atlantes n'ont pas beaucoup résisté, il est probable qu'ils ne se soient pas attendus à une arrivée aussi rapide de nos troupes. Les quelques soldats que nous avons affrontés étaient loin du nombre auquel on aurait pu s'attendre. Nos pertes sont minimes, et surtout concentrées sur les renforts locaux que nous avons recrutés pour le temps de la bataille. Les survivants déplorent la mort de leurs compagnons, mais la profusion de bâtiments et de matériaux précieux qu'ils se sont empressés de piller les fera bien vite oublier le deuil. Je suis d'avis de leur laisser ce qu'ils ont pris, et de leur demander un tribut prélevé sur leurs territoires nouvellement acquis. La Grande Armée ne manque désormais plus d'hommes, mais des moyens de les maintenir en forme. Si nous obtenons des mercenaires locaux de la nourriture et de l'eau, nous pourrons nous enfoncer plus avant en territoire Atlante.
-Travis, le reprit Golan en saisissant une poignée de dattes, tu es bien le plus zélé de mes lieutenants. Cette cité à peine conquise, tu lorgnes déjà sur la suivante ?
-Ce n'est pas par appât du gain, Chef. Le peu de résistance que nous avons rencontré m'inquiète. Il est probable que des troupes Atlantes rôdent dans les parages et tentent une contre-attaque bientôt. Si la Grande Armée est piégée, elle en réchappera probablement, mais pas sans perdre certains de ses meilleurs éléments. Prométhée, Hector ou Apollon pourraient tomber, et qui commanderait leurs troupes ? Les hommes feraient sécession, car sans leur chef de bande ils redeviendraient les pillards qu'ils étaient. Alors que si les Atlantes arrivent dans Mol'When vide, ils se contenteront de massacrer les quelques mercenaires malchanceux qui s'y trouvent, et l'armée sera intacte.
-Ton raisonnement se tient... Dis-moi, Travis, depuis combien de temps suis-tu la Grande Armée ?
-Je me souviens du temps où tu commandais à une poignée d'hommes. Peu après tes premières conquêtes, tu m'as retrouvé dans un ruisseau où j'avais été abandonné. J'avais une quinzaine d'années, mais je n'ai nul souvenir de ce jour-là, ni de ma vie auparavant.
-Recueillir un enfant... Mes troupes étaient-elles si faméliques ? Quelle idée ! Et pourtant, l'avorton que tu étais es bien vite devenu mon meilleur conseiller ! Sans ton sens de la stratégie, qui sait si nous aurions été victorieux à chaque fois ?
Travis esquissa un sourire embarrassé. Golan ne se répandait jamais en parlottes inutiles. Que se passait-il aujourd'hui ? Il l'invita à se lever et, lui passant un bras autour des épaules, le guida vers la sortie de la tente.
-Travis, tu es un bon soldat. Tu es fort, courageux et loyal. Tu n'es pas spécialement beau, mais tu dégages cette aura qui incite les gens à te suivre et à te faire confiance. J'admets que j'ai eu souvent besoin de toi pour élaborer mes plans de bataille, seulement ton comportement commence à me faire de l'ombre, vois-tu ? Les soldats te sollicitent, ils se rassemblent autour de toi, et moi je perd le contact avec eux. Il n'est pas bon pour une armée d'avoir plus d'un leader. Et comme la puissance de la Grande Armée est devenue telle que ta stratégie me devient inutile, nos chemins se séparent ici.
Travis avait anticipé le coup de dague, mais le bras autour de ses épaules l'empêchait d'esquiver correctement. En désespoir de cause, il présenta le flanc à la lame, et l'acier glissa le long de ses côtes, ouvrant une plaie qui saignait abondamment. Se libérant de l'emprise de Golan, il dégaina à son tour, le bras gauche collé contre son flanc ouvert. De la main droite, il sortit sa dague de combat rapproché de son fourreau de cuir tanné.
Travis savait que ses chances étaient nulles. Le combattant qui versait le premier sang était généralement le vainqueur du combat. De plus, sa force brute n'égalait pas celle de Golan. Il essaya tout de même d'attaquer, mais une esquive accompagnée d'un coup sur son flanc gauche le fit vaciller. Il perdait beaucoup de sang. Golan le fit basculer d'une béquille, et lui enfonça son genou dans la figure. Le nez de Travis éclata sous l'impact.
Déboussolé, il s'effondra au sol. Golan le saisit par les cheveux, lui relevant la tête pour exposer sa gorge. Travis avait toujours sa lame en main, et il donna un dernier coup au jugé. Miraculeusement, il toucha l'oeil droit de Golan qui, surpris et victime d'une vague de douleur, hurla et recula sans égorger son lieutenant.
Deux soldats entrèrent dans la tente, attirés par le hurlement. Le spectacle de leurs deux chefs s'entre-déchirant les figea sur place, mais la voix grave de Golan les sortit bientôt de leur stupeur.
-Qu'est-ce que vous attendez ? Arrachez-lui son arme ? Vous ne voyez pas qu'il cherche à me tuer ?
L'instinct les poussa à obéir. Ils ceinturèrent Travis, bien incapable de s'y opposer, et lui arrachèrent sa dague. Golan avança vers lui, la main droite sur son orbite ensanglantée.
-Toi ! Tu n'es pas seulement inutile, tu t'es rebellé contre ton chef ! Tu serviras d'exemple aux autres : on te crucifiera au bord du camp, et tu agonisera pendant des jours pendant que les corbeaux te dévoreront les yeux. Tes cris de souffrance rappelleront aux hommes ce qui arrive à ceux qui veulent me défier ! Emmenez-le, et gardez-le sous bonne garde ! Demain midi, nous ferons comprendre qu'on ne blesse pas Golan impunément !